Soy Nevenka (L’affaire Nevenka)
Utopia Manutention 20h15 le 18/10/2024
Soy Nevenka (L’affaire Nevenka)
Réalisatrice Iciar Bollaín
Scénario Isa Campo et Iciar Bollaín
Espagne 2024 1h57 VOSTF
En avant-première, Utopia en partenariat avec l’association Contraluz a proposé, en présence de la réalisatrice Iciar Bollaín, la projection de son dernier film Soy Nevenka.
Cette affaire a vu le jour en Espagne, il a 23 ans lorsque Nevenka Fernández alors âgée de 25 ans, subit et dénonce le harcèlement sexuel d’Ismael Alvarez. Après quelques longs mois, elle parvient à déposer plainte. Fait sans précédent en Espagne jusqu’alors, l’homme politique maire de Ponferrada est condamné.
C’est avec une maitrise remarquable que la réalisatrice écrit et filme les arcanes de l’emprise. Avec Les Repentis, Iciar Bollaín avait signé, un film puissamment ancré dans les méandres des parcours psychologiques des post-traumatisés. Elle avait décortiqué avec finesse les possibles mutations liées à la prise de conscience et avait signé un film redoutablement intelligent et convaincant. Avec celui-ci, elle parvient à livrer le processus implacable de la mise sous emprise, acte de prédation exercé, majoritairement, par des individus de sexe masculin.
Avec une sobre linéarité qui jongle adroitement avec les flash-back, Iciar Bollaín accompagne Mireia Oriol dans sa transformation et la dégradation rapide de son équilibre psychologique causées par la mise sous emprise. Les différentes stades du processus psychologique qui aboutit à une déréalisation du vécu insupportable du point de vue de la victime sont parfaitement montrés. Le choix du casting des deux comédiens pour les rôles principaux trahit une connaissance fort documentée du sujet traité. L’emprise présuppose des personnalités aptes à être victime ou à s’instituer bourreau. La relation qui va se lier entre eux est celle d’une prédation. Nevenka est brillante. Diplômée, belle, jeune, fine, intelligente, elle a sa vie à écrire, en lien avec les autres, ses amis, ses parents avec lesquels elle interagit cordialement. Ismael Alvarez a déjà un passé rédigé ; il a le double de l’âge de celle qu’il surnomme Quenka, diminutif qui bien évidemment est destiné à amenuir l’aura que Nevenka irradie par sa seule présence. Le chef d’entreprises aux multiples commerces se double de fonctions d’homme politique. Maire de Ponferrada, il s’arrange de magouilles en tous genres et incarne, le parvenu mal dégrossi, à la fois macho mais surtout balourd. Le désir de faire de Nevenka sa Quenka est à la mesure du personnage, sans réflexion. En effet, pour le prédateur, la tentation est grande mais la proie n’est pas à sa mesure, elle le supplante car il manque d’intelligence. Sa force, il la puise dans des rouages de fonctionnement rodés avec ses pairs et la complicité du silence des témoins. C’est sans compter néanmoins avec la personnalité de celle qu’il parvient à instaurer au rang de victime.
D’emblée le film s’ouvre avec cette vision de la fuite de Nevenka qui court, et qui fuit celui qui la harcèle. Urko Olazabal qui avait magistralement interprété le rôle de Luis Carrasco dans Les repentis s’empare avec force du rôle d’Ismael. Du séducteur par effraction, à l’implacable tyran, il annihile, en violant les seuils de tolérance, la personnalité de sa victime. La contrainte est immédiate, insidieuse. Elle rejoint le procédé de l’injonction paradoxale « Prenez tout votre temps jusqu’à la fin de la semaine pour réfléchir à ma proposition » alors que d’ici là il ne reste que deux jours ! Assez rapidement, il resserre l’étau de l’emprise. elle est à la fois indispensable et flattée dans ses capacités puis réduite à obéir, à obtempérer sans droit de réflexion.Tout son temps est assujetti à sa fonction et à son chef. Le pas de non retour est franchi lorsqu’elle cède pour en finir, au désir sexuel d’Ismael. La scène se déroule en parfaite dissociation. Ce n’est pas Nevenka qui laisse Ismael user et abuser de son corps c’est ce qu’il en reste, à peine Quenka. Elle est en totale déréalisation de son vécu, elle devient confuse, le stress permanent ne lui permet pas d’envisager des stratégies saines et cohérentes de défenses. Ce dont elle est certaine c’est qu’elle ne veut pas de cette relation entre eux, pas de sexe sans sentiment, sans désir. Elle le lui formule mais il n’en a cure étant entendu que pour Ismael, le jeu prend alors une autre tournure car il ne supporte pas le refus. Elle dépérit et en adéquation avec la puissance recouvrée de celui qui avait prévu d’en faire sa chose et ce d’autant qu’il vient d’enterrer son épouse, il fait montre d’une ascension fulgurante de ses pulsions sadiques. Les scènes de rabaissements publiques s’intensifient et la cruauté n’a de rivalité qu’avec sa satisfaction de voir l’autre détruite, utilisée à des fins d’objet comme la scène de masturbation contrainte.
Si elle le rejette c’est parce qu’elle a percé à jour son fonctionnement de pervers, stéréotype du narcissique et ce d’autant qu’elle tente de s’opposer à des malversations et des manipulations aux remugles de magouilles sur fond de délit d’initiés. Elle ne peut impunément braver sa toute puissance sans risquer les représailles.
Néanmoins, c’est par la force persuasive de ses deux amies et l’aide de son petit ami qui deviendra son époux et le père de ses enfants, qu’elle va trouver le courage d’échapper au prédateur par la fuite. La sidération éprouvée par Nevenka l’empêche de réagir, annihile sa volonté de mettre en marche un système rationnel et efficace de résistance, Le seul possible face à ce type de prédation est la fuite. La parole lui a permis de briser l’isolement dans lequel elle se terrait pour fuir l’invivable harcèlement. Elle a échappé de peu à l’issue fatale car le suicide est souvent plus aisé à mettre en place que l’organisation d’une fuite. La scène dans laquelle sa mère l’enjoint à retourner dans les mains de son bourreau a cela d’édifiant qu’elle est, elle aussi, un grand classique de ces situations d’emprise. Le bourreau reçoit l’adhésion quand ce n’est pas le soutien de la famille de la victime qu’il a pris soin d’isoler en devenant omniprésent.
Le choix de ne pas quitter de la caméra Nevenka est des plus judicieux car il nous rive à ses côtés lors des étapes de l’emprise. C’est de son point de vue et de ses ressentis que les scènes sont vécues. Il ne s’agit plus de montrer mais de faire comprendre, d’intégrer les mécanismes, celui de la déréalisation, de la sidération, de la dissociation, de la culpabilisation, de la confusion mentale, de l’altération du discernement et du lien qui oblitère l’instinct de survie.
La scène d’anthologie dans laquelle l’Avocat Général invective Nevenka, s’emporte et la harcèle littéralement en inversant la charge de la culpabilité, dénonce la déplorable réalité que le machisme est partout.
Au terme de la projection, Iciar Bollaín nous a confié que cette scène a été directement inspirée d’un fait réel du procès. Celui-ci a été interrompu, l’Avocat Général révoqué jusqu’à la nomination d’un autre plus conforme à l’éthique de la profession.
Comme dans son précédent film Les Repentis, on sort de Soy Nevenka avec un souffle bénéfique d’optimisme. Les pires situations endurées, pour le premier, deuil d’un proche victime d’un attentat, incarcération à vie et au delà d’hommes qui comme nous tous évoluent en mieux ou en moins bien, pour le dernier, perte temporaire de son identité au contact aliénant et destructeur d’un prédateur narcissique, tous ces moments de vie d’extrêmes souffrances trouvent en l’humain et par l’humain une voie rédemptrice ou salvatrice apportée par les femmes.
En attente du prochain film et de la prochaine séance en présence d’une réalisatrice vraiment talentueuse, L’Affaire Nevenka est absolument à voir à Utopia dès le 6 novembre 2024.
Nadine Eid
d’après Une histoire de harcèlement-L’affaire Nevenka de JuanJosé Millas (Gallaade éditions)
avec Mireia Oriol, Urko Olazabal, Ricardo Gómez, Carlos Serrano, Lucía Veiga
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