Si Fou Mi
- Nadine Eid
- il y a 2 jours
- 4 min de lecture
Le Figuier Pourpre
6 rue Figuière Avignon
Vendredi 18 avril 2025 à 20h et
au Off 2025 à 11h15 relâche les mercredis
Poésie/Musique
photos: N. Eid
Sortie de résidence au Figuier Pourpre et avant-première très spectaculaire, fort originale que celle des deux soeurs Mainer Martin, Ana et Carmen. L’une est bassoniste, l’autre flûtiste.
La mise en scène est au service de ce qu’elles vont révéler durant tout le spectacle tant par l’espace phonique de leurs instruments et leurs tessitures plus ou moins connues que par la chorégraphie, l’espace visuel très présent, qui concourent à expliciter au public, les choix de la mise en scène comme ceux du répertoire musical.
Deux soeurs qui se ressemblent, ne s’assemblent pas mais se différencient au plateau. Quasiment vêtues à l’identique comme pourraient l’être de fausses jumelles, ballerines noires et pantalons noirs, les deux tops noirs presque semblables à un détail prêt, elles explicitent par les sons, les silences voire quelques rares interjections un jeu que tous nous connaissons. Le pierre-ciseaux-feuille, autrement nommé dans un désordre de prérogatives à établir par les joueurs le pierre- papier-ciseau. Au japon il s’agit du Chifoumi par déformation du Hi-Fou-Mi qu’on peut traduire par un, deux, trois. De là à ce que les deux musiciennes ne s’en emparent pour mettre ce jeu au diapason de leur création artistique, le titre s’est imposé d’évidence et le jeu de mot n’en a pas affadi la pertinence.
Si Fou Mi propose un voyage initiatique auprès de deux instruments que nous allons redécouvrir pour l’un, la flûte traversière et découvrir pour l’autre moins connu, le basson. Les cercles blancs présentés et arborés comme une convoitise, un butin à gagner, sont posés sur des présentoirs. Avancés ou reculés comme des pions, ils ancrent les gains, de l’une et dénoncent les pertes de l’autre. Tels des pions dérisoires, ils marquent les points confirmés par le son d’un tiroir-caisse identifiable, relient le gain à la perte, comme deux réservoirs d’un même sablier. La ligne blanche qui délimite l’espace dédié en propre à l’une et à l’autre renvoie aux limites de nos espaces proxémiques, lesquelles sont d’autant plus marquées qu’ils se trouvent en danger possible par la mise en lien de rapports plus étroits.
La sororité bien sûr, questionne l’exposition au danger de la bulle de l’individu avec l’interpénétration des désirs communs : la volonté de surpasser l’autre, l’envie de s’approprier des priorités, le souhait d’obtenir à tous prix les récompenses interprétées comme fruits du mérite, la sadique jouissance de gagner en voyant perdre….
Toutes deux utilisent des instruments à vents, d’une même famille donc mais avec de nombreuses différences et aussi de belles similitudes que l’une et l’autre vont révéler au public.
La flûte traversière produit des sons doux et mélodieux mais également des sons brillants, éclatants. Dans les orchestres d’harmonie, elle a sa place parmi les solistes tout comme le violon, le hautbois. Le basson quant à lui, révèle des notes basses plutôt dures, de baryton basse au registre ténor. Souvent associé à un instrument d’accompagnement musical, on oublie qu’il peut avoir sa place de soliste. Il n’est qu’à écouter les sublimes concertos pour basson et orchestre de Vivaldi pour en être pleinement convaincu.
Les choix musicaux proposent un curieux pot-pourri qui jettent les ponts entre la variété y compris celle d’après guerre et la musique classique amplement représentée par les deux soeurs. Vivaldi et la joie naissante de son Printemps supplantée par la liesse tumultueuse de son été, Bizet avec Carmen intemporelle à la sensualité tonitruante, Ravel et la fluidité équilibrée de son Boléro, La Gioconda l’opéra somptueux d’Amilcare Ponchielli, Strauss, Debussy… les notes s’épousent, se mêlent et rapprochent les exécutantes.
Peu à peu, l’humour décrispe la rivalité feinte ou jouée, vécue ou évoquée ; la ligne blanche, la frontière et ses interdits, laissent le corps de l’une frôler et rencontrer le corps de l’autre. La permission s’invite tout comme les sons ont prédisposé la rencontre, l’union. Une rose est jetée comme une promesse malmenée par le geste. Un éventail est dérobé, saisi comme un butin de guerre pour être au final délaissé au sol, inutile. Progressivement, l’envie comme la convoitise s’émoussent comme tout ce qui isole et confère à la solitude de l’ego. L’instant magique va survenir. Déjà annoncé tout au long du spectacle, l’esthétisme de leur gestuelle réciproque donne du visuel aux sons, ancre la fugacité des notes dans une chorégraphie des corps en harmonie avec la tenue horizontale et latérale de la flute traversière et celle en diagonale du basson. De part et d’autre de la ligne blanche, les deux musiciennes vêtues de noir, oscillent en accompagnant leurs pas qui les amènent à explorer les possibles des transferts d’équilibre. Le thème du point d’appui et du basculement de l’une à l’autre crée la rencontre ; les trois flutes d’Ana sont allées vers la certitude du basson de Carmen. Elles en viennent même à échanger comme par inadvertance, par oubli de la ligne, leur place de part et d’autre pour mieux arguer du dérisoire des prérogatives. Leurs corps entrent en résonance avec leurs sons et font unité avec leur instrument. Bras-flûte, tronc-basson , les notes comme les gestes s’envolent. Instant magique donc que vient ponctuer la trêve. Elles déposent les armes-instruments et s’emparent de cette ligne blanche au sol qui n’a plus d’utilité. La ligne en leurs mains se dédouble. Quelle belle trouvaille ! Les voilà conversant à l’aide du ruban qu’elles manient comme un autre langage, différent de celui de cette langue inconnue mais pertinente quelles ont tenté d’utiliser en vain pour la concorde. La tendresse s’invite, les rubans s’échangent en une parfaite synchronicité, les volutes en spirales d’Ana viennent frôler en caresses celles de Carmen. Les deux soeurs réécrivent une partition alerte, vive, joyeuse et malicieuse mais sans violence et sans rivalité. Elles dessinent la complétude et signent, une belle connivence. L’accord entre les deux instruments l’a laissée présager ; il n’empêche que leur sensibilité de musiciennes, la mise en scène d’Elsa Marquet- Lienhart, la création lumière d'Alain Igonet leur ont permis d’explorer l’unisson des mises en résonance entre l’expression des corps en mouvement et l’interprétation musicale. Une belle prouesse, parfaitement maîtrisée.
A prévoir sans hésitation dans vos choix du Off
Nadine Eid
Carmen Mainer Martin : Basson
Gavarnie Ensemble et Elsa Marquet-Lienhart : Mise en scène
Alain IgonetCréation lumière Avignon
Un très beau spectacle, très haut niveau artistique, à ne pas manquer pour cette édition du Off 2025 !
excellentes musiciennes et actrices 👋👋👋
👏👏👏👍👍
Bravissimas !