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Photo du rédacteurNadine Eid

Les Filles d'Ariane

Théâtre de l’Oriflamme

3/5 rue Portail Matheron Avignon

le 8 et 9 juin 2024 Avant-première puis du 3 au 21 juillet à 14h30 Relâche le lundi



Photos: Nadine Eid



Première création pour Martin Kindermans, Les filles d’Ariane mise en scène par l’auteur, livre une pièce aux multiples thèmes rassemblés autour de deux problématiques absconces. Il s’agit, pour Fleur, de savoir qui est son père, pour le public qui est Fleur.  Le spectateur est intelligemment aidé par la mise en scène qui fonctionne à merveille. Valentine Daruty et Thomas de  Fouchecour endossent chacun trois rôles.

Valentine Daruty sera donc Ariane, la mère, mais aussi Salomé et Fleur les deux filles d’Ariane, Thomas de Fouchecour, lui, portera les rôles d’Alexis, Joseph et Léandro.


C’est sur un pan de mur-paravent, que les prénoms vont être « écrits », par les deux personnages, avec des lettres assemblées aimantées, au fur et à mesure que l’histoire va prendre corps, s’incarner en des noms, des personnages que Fleur va découvrir.

Au-dessus de ces prénoms, des ampoules alignées, belle trouvaille de mise en scène pour mettre en ombre ou en lumière les rôles. Il n’est pas jusqu’à la robe de Fleur qui s’escamote, se transforme. Mise en lumière et obscurité. Dire, se taire.


Son petit manteau aux allures de ciré marin, semble la protéger des éclaboussures de son origine redoutablement incertaine. Si les prénoms éclairés indiquent, au public, qui  joue qui, les noms « éteints » par le prochain rôle-personnage restent néanmoins dans la valse des interprétations.

Ce qui est tu, mis au cachot des secrets de famille puisse-t-elle être réduite à la portion congrue d’un couple avec un unique enfant, sera nommé et s’écrira dans et par son histoire, celle de Fleur.  Il lui  suffira de lire un prénom inconnu brodé dans la doublure d’un noeud papillon conservé dans une vieille valise poussiéreuse pour que le passé se délasse. Les tables rases sont des illusions et le présent est toujours transgénérationnel.


Ce qui interpelle dès le début de la pièce, c’est non pas ce qui est dit ou non dit mais bien plutôt ce que est écrit. Les prénoms qui surgissent, comme du chapeau du prestidigitateur, sont les fruits certes de l’investigation progressive de Fleur mais surtout les émergences des sens étymologiques de tous ces prénoms. Fleur c’est « la meilleure partie de quelque chose, la partie la plus fine », Salomé est celle qui danse devant Hérode Antipas, son beau-père voire son père pour le charmer et obtenir ce qu’elle désire, notamment la décollation de Jean-Baptiste, « celui qui annonce, est prophète » et cousin de Jésus. La vérité ne peut, par simple volonté, être effacée. Le Verbe demeure et en tant que tel, il est incarné.

Salomé, est celle par qui le scandale risque d’arriver. Dans la scène des marionnettes, une vérité affleure, vite réfrénée par son père qui lui confiera plus tard les avoir fait disparaître. Mais quoiqu’on fasse pour l’enterrer, la sceller, la vérité émerge et le temps qui passe est le berceau de sa mise à jour.

Au delà du questionnement « qui est Fleur ? » se profilent d’autres interrogations et particulièrement celle  qui vient tarauder le public, « qui est, était Ariane, et pourquoi avait-elle accepté d’être, pour un ami, une mère porteuse ? »


Les prénoms encore symboliquement bavardent par leur étymologie et commencent à transparaître une lecture possible. Léandro est « l’homme de son peuple », celui qui est le masculin et en quelque sorte le désir de complétude d’Ariane, « la très noble, la très pure, la sacrée ». Le deuxième homme, Alexis, lui, est « celui qui protège, garde et porte secours », se peut-il qu’il puisse être un père ? Joseph qui signifie « Dieu ajoutera », nous donne une clef en offrant un horizon plus vaste à l’identité du père qui soudain pour Fleur est comprise comme multiple. Sa confrontation avec le père d’adoption est à la fois poignante et cocasse. Les trois prénoms peuvent s’éclairer simultanément. Alexis, le protecteur, Joseph qui comprend et instigue la multiplication, Léandro qui est l’homme fait homme.

Tous les trois  pourraient être des donneurs potentiels de paternité et finalement la quête de Fleur, n’est pas tant celle de savoir qui est son père mais celle d’obtenir des renseignements sur la motivation de sa mère, son indéniable origine, son énigme sans réponse, rendue muette par la mort. Mais c’est sans compter sur le coup de théâtre qui fait irrémédiablement verser la pièce hors de toute tentation tragique. Ariane n’en a pas fini de nous surprendre.

Fleur, en suivant le fil d’Ariane, sort du labyrinthe de ses origines éventuelles, et, démêlant l’imbroglio des secrets, elle va découvrir par le prisme des mensonges, la construction d’une possible vérité.


Les mises en mots des différents personnages descellent et simplifient la quête. Le sujet

qui pose question c’est la mère, Ariane. Pourquoi a elle voulu être une mère porteuse ?

Quel est le mobile qui a pu lui faire momentanément quitter son compagnon et sa jeune enfant pour en faire une autre et la donner ? Quel est le secret qui pourtant transparait d’un bout à l’autre de la pièce ? Les scènes de danse ponctuent l’émergence d’un personnage presqu’oublié, celui d’Ariane danseuse. Les extraits du ballet La  Bayadère de Léon Minkus apportent comme un refrain rassurant, connu et signifiant. Tous, en effet, scandent les moments forts de la prise de conscience de Fleur. C’est un peu comme si, chacun des moments de danse, ponctuait la vérité et prenait forme au travers du corps d’Ariane, pour ensuite, naître en Fleur. La création lumière est des plus remarquables et participe, avec la musique, à isoler dans le temps, la vérité du personnage d’Ariane.


Avec beaucoup de finesse et de pertinence dans l’écriture, Martin Kindermans tisse la trame d’un imbroglio familial digne des destins de héros tragiques. Les mots qui font souvent mouche sans pour autant détruire, posent avec élégance les jalons des interrogations éminemment fondamentales, celles liées à nos origines. Bien évidemment, il y a la grande question corollaire, celle de l’amour, que l’éviction de tout pathos élude tout en la formulant et le non-vouloir comme le non-pouvoir être père résonne fort et longtemps. Cette question est contenu dans la quête de Fleur. Pourquoi n’a-t-elle pas connu sa mère ? Celle-ci l’a-t-elle abandonnée à son père et si oui, Pourquoi ? Autant de questions légitimes mais erronées qui sont forcément le lot de toute personne ignorant qui était vraiment celle qui était à l’autre bout du lien ombilical rompu ?


Néanmoins, le sourire, la joie de vivre et d’être est, à chaque recoin de ce labyrinthe porté par les pas aériens de la danseuse qui, sur les pointes, révèlent peu à peu le personnage d’Ariane. Fleur, sa fille est solaire, sa logorrhée la dessine en impatience enfantine de curiosité. Infatigable, elle n’a de cesse de réfuter les fausses allégations et au final, elle réécrit la pièce. Le coup de théâtre guide le public vers une lecture non univoque et finalement plus optimiste encore qu’il n’y parait.

Les applaudissements étaient, pour cette avant première amplement mérités. Valentine Daruty et Martin de Fouchecour sont déconcertants d’aisance, de grâce et de fraîcheur ; l’écriture de  Martin Kindermans est à méditer.


Nadine Eid



de Martin Kindermans

 avec Valentine Daruty et Thomas de Fouchecour

mise en scène Martin Kindermans  

Les Filles d’Ariane

Production LE PETIT MANTEAU JAUNE avec le soutien de LA VILLE DE BOIS-COLOMBES



















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Nous sommes Fanny Inesta et Jean-Michel Gautier, chroniqueurs indépendants et surtout passionnés de théâtre, d’expositions, et de culture en général. A ce jour, nous créons notre propre site, avec nos coups de coeur et parfois nos coups de griffes… que nous partageons avec vous.

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