Les artistes sont des gens curieux
L’Espace du Cloitre Saint-Louis
20 rue du Portail Boquier Avignon
du 4 mars au 26 mars 2025
du mardi au dimanche de 14h à 19h
Photos: N. Eid
La singularité du titre n’est pas pour nous surprendre, même si d’évidence Les artistes sont des gens curieux est un truisme qui néanmoins interroge.
Du 4 au 26 mars 2025, la MAC’A propose son exposition annuelle à l’Espace du Cloître Saint-Louis. Invités, guidés par le thème de la curiosité, six artistes ont produit des oeuvres dont l’unicité et la spécificité nous questionnent sur l’artiste et son lien à la création.
Celui-ci est -il mû par la curiosité et /ou est-il singulier, différent, autre que le lambda qui regarde ses oeuvres ? Evitons d’élaborer une quelconque réponse, l’artiste est un zèbre, un ovni et son passage comme ses productions font traces, visions, souvent rémanences et parfois augures.
La plasticienne Claire Beillard avec MEMOIRES D’OPÉRA expose des oeuvres inspirées par des matériaux du chantier de rénovation de l’Opéra d’Avignon. Des blocs de béton aperçus suspendus par des fers en façade du bâtiment, elle va conserver l’impact de l’émotion visuelle. Elle crée alors des pièces sculptées en grés. Les formes et les couleurs variées, l’engobe et l’émaillage offrent un carrousel de pierres réunies en des panneaux aux vibrations différentes. Ses gravures au carboren-
dum semblent être des esquisses, des parcours de recherche pour parvenir aux pierres, les approcher jusqu’à les concevoir. Émane d’elles une force tellurique, presque redondante tant les formes et les nuances évoquent la puissance de la permanence. Les pierres de Claire Beillard parlent du temps. Ses stèles comme ses pierres de mémoire sont un hymne à leur puissance chamanique perceptible mais non identifiable.
Amar Briki, signe lui un bel hommage à AVIGNON et au tableau de Picasso réputé comme le plus important de l’histoire de la peinture, Les demoiselles d’Avignon. Initialement baptisé par le Maître Le bordel d’Avignon il représente cinq prostituées nues de la rue d’Avignon à Barcelone. Connue pour être celle des prostituées, le titre fait scandale et Picasso l’aseptise. Amar Briki expose vingt quatre portraits de femmes. Ce qui frappe c’est la carnation claire de la peau qui semble émerger d’un long cou mis en évidence par le v du décolleté. Elles apparaissent sur fond obscur comme les fleurs d’un vase et se distinguent de l’anonymat par leur prénom. Les teintes sont également douces, même l’orangé et le rouge se fondent dans des rousseurs. Les visages ronds, les cheveux coiffés ajoutent encore une note de banalité, de conformisme dans ses portraits de femmes entre deux âges. Qui sont elles ? Elles pourraient être des passantes, des voisines, des mères, des soeurs, des amies…
Sa lettre à Monsieur le maire d’Avignon en recto verso proposant une déconstruction et reconstruction du Pont d’Avignon, se montre comme un fac-similé attestant la véracité d’un faux projet dans l’authenticité des traces retrouvées. Les teintes douces rappellent celles des portraits des demoiselles comme si le temps avait rendu bis le blanc d’un papier ou d’une carte.
Baptiste Chave peintre céramiste a exposé un somptueux tapis de faïence qui rappelle les pave-
ments du Palais des Papes. La gaieté est partout, dans les couleurs, les formes et les assemblages. IVRESSE, LIBERTÉ ET BONHEUR DE VIVRE, lui sont comme un credo, un choix artistique engagé et assumé pleinement qu’on retrouve dans ses céramiques inspirées de bestiaires imaginaires. Visions d’enfance, simplification poétique et regard ouvert sur le fantastique quotidien, ses oeuvres sont riches de lectures plurielles qui toutes interrogent aussi quant aux origines, aux influences et à son inspiration. Qui est-il ? La singularité de ses oeuvres crée la rencontre et répond par les oeuvres. Nul doute qu’elles happent le regard ; elles appellent en nous une interrogation éveillée qui va outre la simple attention curieuse. La présence de Baptiste Chave est très marquée, il y a peu entre lui et ses créations et cela se ressent par la densité des sensations immédiates, comme si la médiation du faire avait été raccourcie entre l’artiste et son oeuvre.
La photographe Marise Laget avec À MES PIEDS invite à suivre un objectif apparement dénué de curiosité, il s’agit de capturer dans l’instant ce qui n’est pas à hauteur de vue mais à nos pieds, sur le point d’être même foulé par nos pas… Les déambulations sont propices aux observations et le regard du photographe est aguerri à saisir ce qui, selon ses propres désirs, mérite de l’être. Au sol, tout aussi peut faire sens, être signe, questionner notre sensibilité de voyant et nous amener à regarder. Les photographies exposées sont comme de courtes histoires à lire, parfois à écrire pour qui sait que les mots prennent corps en des images. Les reflets dans la flaque font du mot flaque comme de la flaque un reflet qui lui-même peut s’écrire et ainsi être infiniment lié l’un à l’autre inextricablement. De même l’empreinte de la main dans le ciment est parce qu’au préalable elle n’était pas. Il ne s’agit pas d’une absence mais d’un surgissement qu’une volonté a rendu possible. Cette photo exprime l’avant et l’après, s’inscrit donc dans une temporalité qui peut être nommée. La fugacité, l’éphémère des poudres livrées aux vents, celles des confettis vestiges gais mais fugaces de la joie de la fête, attestent que la liesse a une fin mais qu’elle perdure aussi visuellement comme dans nos souvenirs. Les marques de futurs travaux de voiries disparaitront une fois que ceux-ci auront été réalisés mais pour l’heure, elles sont, comme des indications de jeux de piste, à décrypter.
Tout est langage pour qui sait voir et regarder, est un art qui va au delà de l’objectif du photographe. Les photographies de Marise Laget nous en livre les prolongements avec une belle simplicité.
Les installations d’Yves Loze ne passent pas inaperçues. Elles explosent de vivacité et de couleurs. Avec CARTOLINES, l’artiste peintre construit un ambitieux travail de réécriture, réappropriation et restitution à l’auteur de cartes postales antérieures à 1960. D’abord il lui faut se les procurer, les chiner, puis se les approprier en respectant un protocole plus proche du rituel que de la méthode afin de conserver, en modifiant mais en conservant, le texte ou le message d’origine. C’est un peu une manière de réécrire le passé en gardant l’authenticité historique tout en le colorant et en le customisant. La transmission s’inscrit dans un temps résolument déterminé du passé et la gageure semble, a contrario, montrer par les couleurs très vives, que le futur est à écrire au recto d’un verso déjà lui rédigé et caduc. Les traces du passé seraient donc nécessaires pour écrire un futur flamboyant de lumière et de vie. Le sourire d’Yves Loze comme Le grand tourbillon, soleil flamboyant des eaux du Rhône signent un optimisme salvateur et bienvenu dans la morosité d’un quotidien à dynamiser.
La plasticienne Catherine Souchon est une énigme, celle de nos rêves peut-être ; quelques images et le scénario est là refoulé, prêt à resurgir, sur la frange et à l’orée de nos réminiscences. Une unicité de teintes, les bruns, les ocres, des safrans, des couleurs de terre et de bois toutes surlignées, épousées par le noir, et puis du blanc au gris, des déclinaisons en mouvement. Tout bouge, comme dans Rêves ou cauchemars, tout affleure et disparait. Comme entr’aperçu le bestiaire de notre inconscient se dessine propre à chacun de nous. La couleur sanguine, le noir et le blanc utilisés comme un langage bavardent à l’infini de nos peurs et de nos fantasmes. Les panneaux suspendus parachèvent nos lieux, les affirment. Enfin, comme une résolution impossible à décrypter car tout y est ou presque, il y a cette stupéfiante suspension où, à foison, quatre cartouches livrent les hiéroglyphes Rêves et cauchemars. Les corps et les mouvements se prennent et s’évitent. Entre les trois scènes, quatre cartouches de symboles aux schèmes archétypales telles des stases offrent une pause. La partie inférieure grise en ses foisonnements renvoie au magma des cauchemars. La luminosité intense rappelle celle du vitrail et la verticalité des scènes à lire stupéfie. Les pas de géants qui horizontalisent l’espace guident ou délimitent comme la curiosité invite ou nous enjoint à respecter des lieux à investir ou pas.
Ces espaces où pouvoir être ou aller, les oeuvres les déterminent. Au public, à ses aptitudes et à ses propres désirs de les découvrir.
Nadine Eid
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