Les 50 ans des éditions Jacques Brémond
- Nadine Eid
- il y a 10 heures
- 5 min de lecture
avec Jacques Brémond
Le Figuier Pourpre 6 rue Figuière Avignon
Samedi 19 avril 2025 à 20h30
Rencontrer un éditeur est toujours un moment d’émotions ambivalentes. Il est celui par qui le manuscrit sortira peut-être du tiroir dans lequel se côtoient des écrits. Parfois curieux d’aller à la rencontre de l’éditeur possible, souvent en sieste gestative, en attente d’une confirmation validée par le temps, des manuscrits tenteront ou pas le parcours.
Rencontrer Jacques Brémond, poète et éditeur depuis cinquante ans c’est accéder au choeur sans traverser la nef ni s’arrêter au transept. Il est celui qui a commencé par écrire de la poésie et qui, très vite, a confectionné les livres pour offrir à lire la poésie des autres. Typographe, il ne pouvait que proposer pour la poésie, des éditions sur papiers de choix. Ses livres, sont réalisés par le désir de parfaire l’enchantement du texte. La texture du papier coton identifiable au regard, établit un rapport charnel au « livre qui livre » le texte avec ce surcroit de ressenti tactile. Plus qu’un écrin le livre-produit esthétique préfigure la richesse de ce qu’il supporte. En quelque sorte il est un prélude à la jouissance de la lecture des textes.
Lire de la poésie est un acte de foi, la certitude que les mots lus, dits, mâchés, entendus dans la bouche sauveront l’homme et partant le monde.
Jacques Brémond le formule comme une évidence imparable, « les poètes sont indispensables, on ne peut pas vivre sans poésie ». « Elle est une nécessité absolue. » « De tous temps les poètes ont existé, dans toutes les civilisations ». « Elle mène le monde. » Le roman a vocation principale de distraire, d’éloigner le lecteur de l’homme qu’il est pour le désennuyer de sa propre respiration. A l’inverse, la poésie, elle, place l’homme et sa perception du monde au coeur des mots. En outre, les romans sont, selon Jacques Brémond, pour la plupart, bavards et leur nature prolixe lui fait préférer la poésie. Tous ceux qui écrivent de la poésie, savent qu’elle est essentielle, que sans elle, sans les mots, le monde et la vie n’existent pas. La parole, comme l’écrit sont les moyens qui invitent les mots à s’approprier le monde en le désignant et en le reconnaissant. La poésie est le regard haptique de cette appropriation en conscience. Quoi de plus cohérent alors que le poète typographe devienne l’artisan de la poésie des autres et se mette au service de leurs écrits. Jacques Brémond est de ceux-là. Il fabrique. « Je fais des livres » dit-il, l’artisan connait les procédés de fabrication tout autant que les matériaux qu’il utilise. Il sait aussi la vie des mots.
L’écouter et le voir c’est rencontrer aussi un visage où la passion s’est imprimée et se lit sans détour ; l’homme passionné, le poète et le typographe apparaissent indissociables et la belle barbe blanche ne cache rien de cette passion qui l’a placé au service de la poésie.
Pour célébrer ce cinquantenaire, quelques poètes ont lu leurs textes et/ou ceux d’autres auteurs. Philippe Berthaut poète, chanteur, comédien et animateur d’ateliers d’écriture a concentré notre attention sur un long poème incantatoire, hypnotique et sonore comme peut l’être le bruit de l’eau d’une fuite providentielle recueillie en deux tons dans le seau rouge et le seau bleu d’une station de métro à Toulouse. Dialogue à deux ou trois protagonistes -celui qui voit, les seaux qui sont vus- déclinaison à l’infini de l’infime qui devient alors l’essentiel. Marie Cayol poète et traductrice de Gérald Vizenor a lu aussi des poèmes personnels. La traduction de roman est déjà en soi un travail extraordinaire de compréhension, au sens étymologique, de l’auteur traduit. Traduire de la poésie c’est prendre les risques d’un kamikaze et en avoir tous les courages. Marie Cayol et sa force tranquille en a la trempe. Les liens tissés avec les Amérindiens comme la puissance des évocations de son vécu, nous les avons ressentis à la lecture de ses poèmes. Elle a su, sans l’expliquer, faire entrevoir tout le travail entrepris en amont de ses textes, tous les liens avec le peuple amérindien dont ils sont issus. Ses poèmes en ont la sagesse, le poids laconique des mots choisis lourds et liquides comme le mercure ; ils sont passionnants. La lecture inspirée du tableau de Pierre Cayol, son époux, a été reçue aussi par nous comme un présent, celui d’une écriture non pas pudique mais réservée qui peint par à-plats discrets pour mieux laisser à voir. Jean-Pierre Petit, poète, a lu des poèmes du premier recueil de Thierry Metz Sur la table inventée. Poète et manoeuvre sur les chantiers, il laisse quelques oeuvres reconnues avant de choisir de cesser de souffrir. La lecture est concrète, elle taille la part belle à la matière brute des mots qui renvoie à la concrétude, seule tangible et possible parfois quand tout fout le camp autour de lui. Le palpable donne l’illusion de ce qui est, rassure et permet de ne pas sombrer. L’alcool, faux exil à la douleur, n’édulcore rien. Sa voix s’est tue. Restent ses mots. Avec Lettres à mes Jacques, Anne Houdy a proposé la d’un texte tout en volutes. Son écriture est dépliée à souhait. Elle emprunte les sentes, les chemins de chasseurs et les passages de bêtes qui ne les fuient pas mais les précèdent de quelques heures d’instinct et les laissent aussi penauds que leurs chiens serviles. Anne Houdy est là, au creux de ses mots, aux asymptotes de leurs échos, plus affirmée dans ses silences que dans ses mots pourtant posés, édifiés. Il y a sans cesse ce décalage comme une patine qui ressemblerait à un humour personnel, élégant et ténu, une assertion que rien d’autre que les mots et ce qui en déborde n’est important ou l’inverse, c’est selon les choix multiples. Un peu comme un jeu, elle tutoie le je, sien et nôtre et le partage des connivences fait sourire. La lecture prend corps et le nerf du texte tendu jette un pont entre l’écriture vive et ramassée et cette foisonnante proposition qui semble partir tous azimuts. L’écriture est comme obsessionnelle d’elle-même. Elle cherche à s’écrire et le fait dans une verve intarissable. C’est gai, drôle et cocasse mais aussi, insoutenable dans la gravité qui point, par moments, quand l’urgence semble la talonner comme un besoin envahissant, une nécessité anthropophage.
En résumé, hors la rencontre avec l’éditeur Jacques Brémond et les poètes présents, les lectures ont suscité le désir d’aller vers les livres de cet éditeur, les textes des poètes invités et les toiles du peintre Pierre Cayol. Qu’ils soient remerciés de nous avoir fait découvrir ou redécouvrir les poèmes de Thierry Metz comme ceux de Gérald Vizenor poète, dramaturge et universitaire amérindien.
A noter que le Figuier Pourpre n’a pas démérité, dans la qualité des soirées proposées. Les fêtes de Pâques sont seules responsables du public parti vers la famille ou vers les plages frileuses d’un printemps tardif.
Nadine Eid
Lectures par Marie Cayol, Anne Houdy, Philippe Berthaut, Jean-Pierre Petit
Chronique fidèle et inspirée d'une soirée célébrant les 50 ans des éditions Jacques Brémond. Nadine Eid a su en cueillir la substantifique et poétique moelle. Merci à elle et à ce site. Jp Petit