Le Mage Du Kremlin
La Scala 600 Provence
3 Rue Pourquery de Boisserin Avignon
le 14 Novembre 2024 à 19h30
photos: La Scala
Dans l’imposante salle de La Scala 600 Avignon, plus un fauteuil de libre!
Même avant que les lumières ne s’éteignent, une tension imprègne l’atmosphère. Les acteurs, déjà plongés dans leurs personnages, évoluent en silence tandis qu’un balayeur traverse distraitement la scène. De chaque côté, des meubles d’un blanc aseptisé – fauteuils, canapés – entourent un mini-bar et un téléphone, évoquant un espace à la fois familier et glacial. Au centre, un buste de Lénine domine le décor, vestige silencieux d’une histoire figée dans le marbre. Une rampe de projecteurs braque une lumière crue sur le public, forçant ce dernier à détourner les yeux, presque captif dès les premiers instants du spectacle.
Nous sommes d’emblée transportés dans les coulisses sombres de l’ascension de Vladimir Poutine, de la fin de Boris Eltsine à son installation en tant qu’autocrate incontesté. Librement inspirée du roman éponyme de Giuliano da Empoli, cette pièce nous fait plonger dans un univers de violence, de manipulation et d’isolement où quelques hommes de l’ombre, dont le mystérieux Vadim Baranov, orchestrent l’arrivée au pouvoir de celui qui devient le "tsar moderne" de la Russie.
Artiste devenu conseiller influent de Vladimir Poutine, Baranov est un personnage à la fois témoin et acteur des manipulations qui ont façonné la Russie moderne. Un journaliste français joué par Stanilas Roquette tente de lever le voile sur son passé dans un appartement où il est assigné à résidence. À travers une série de flashbacks, l’histoire d’un pouvoir sans limites et d’un État transformé en machine à illusions médiatiques se dévoile. Au-delà des faits historiques, la pièce explore les mécanismes psychologiques et sociopolitiques qui transforment un homme ordinaire en dirigeant redouté. Sous l’influence de conseillers insaisissables comme Baranov, Poutine émerge comme une figure énigmatique, modelée par les ambitions et les machinations de ceux qui l’entourent. La pièce nous plonge dans une réflexion glaçante sur les ressorts du pouvoir et sur la Russie comme un "laboratoire" de méthodes autoritaires. Ce spectacle suscite une inquiétude , comme un avertissement que ces méthodes pourraient un jour infiltrer nos propres démocraties...
Les acteurs livrent des performances puissantes, ils incarnent chacun avec justesse et intensité les figures politiques. Philippe Girard, en Baranov, dégage une profondeur qui fait de lui un personnage central, pivot des intrigues et des manipulations. Andranic Manet, dans le rôle de Poutine, évolue de l’insignifiance à l’autorité glaçante, avec une précision inquiétante. Mais c’est Boris Berezovsky, magistralement interprété par Hervé Pierre, qui monopolise véritablement l’attention. Oligarque flamboyant et provocateur, il évoque ces figures hautes en couleur, à la fois mordantes et désinvoltes. Ses échanges vifs et sans retenue avec Baranov apportent des instants de légèreté et d’ironie, précieux dans une pièce où la gravité domine souvent le propos.Dans ce tourbillon d’intrigues politiques et de drames nous sommes confrontés aux grands évènements de la Russie tels que le naufrage du Koursk ou l’ascension de Poutine, mais aussi au rapport entre vérité et fiction, la fabrication du consentement, et la fascination dangereuse pour les figures autoritaires.
Deux rappeuses parfaitement bilingues, surgissent soudain, rompant avec la gravité du sujet . Ces moments de rébellion musicale offrent au public un bref souffle d’oxygène, une échappatoire à l'atmosphère pesante.
La mise en scène de Roland Auzet reflète le chaos dans lequel la société a été plongée après l’effondrement du régime. Cependant, c'est une mise en scène excessive. Roland Auzet choisit une scénographie d’une intensité visuelle et sonore si forte qu’elle en devient dérangeante et nous fait sursauter ! Stroboscopes, projections vidéos incessantes, et sons stridents prennent parfois le pas sur les dialogues et saturent l’espace au point de fatiguer. Ce dispositif, bien que conçu pour symboliser la brutalité et la violence du pouvoir, finit par étouffer le propos de la pièce dans une frénésie de bruit et de lumière, qui épuise plus qu’elle ne fascine.
En pleine guerre en Ukraine, cette création résonne avec une intensité particulière, mettant en lumière les dynamiques autocratiques qui menacent les démocraties modernes.
Avec ses une heure quarante, Le Mage du Kremlin parvient à conquérir le public grâce à une réflexion puissante sur les arcanes du pouvoir et à des acteurs de grand talent qui portent la pièce avec brio.
Fanny Inesta
De Giuliano Da Empoli
Adaptation Roland Auzet
Mise en scène Roland Auzet
Avec Hervé Pierre (Sociétaire de la Comédie-Française), Karina Beuthe Orr, Philippe Girard, Andranic Manet, Stanislas Roquette, Claire Sermonne, Irène Ranson Terestchenko
Avec la participation de Jean Alibert et Anoushka Robert
Assistanat à la mise en scène Pauline Cayatte-Leeb
Scénographie Cédric Delorme Bouchard
Lumières Cédric Delorme Bouchard
Costumes Victoria Auzet
Vidéo & musique Wilfried Wendling
Régie Générale Jean-Gabriel Valot
Magnifique