La force du Coquelicot
de Lydia Cherton
à l’Espace Roseau Teinturiers
45 rue des teinturiers Avignon
festival Off du 19 au 21 juillet 2024 à 17H05
photos: Nadine Eid
Première pièce de Lydia Cherton, la Force du coquelicot cueille les pétales de joie dans le pistil des accidents, des peines et des problèmes qui jalonnent tous nos parcours de vie. Pour l’auteur, il s’agit de savoir reconnaître les impulsions de la vie.
Respirer relève du miracle et le fait d’être encore et malgré tout nous enjoint à respecter l’indéfinissable espoir que représentent le souffle du vivant, les pulsations du coeur et l’inextinguible joie. Vecteur de notre pas, elle est là tapie, dans les pires moments de nos vies toujours prête à resurgir inlassablement.
Le décor est simple. Il y a une souche d’arbre, deux rochers comme des ancres jetées au bord d’un précipice où symboliquement Julie a été projetée à terre. Inerte sur le sol, en jupe rouge coquelicot, elle est secourue par Félix, un homme en costume qui la presse de questions. Le lointain est onirique. Deux arbres dessinés sur deux lés de tissus permettent aux oiseaux de voleter et d’animer au gré de la musique et des mots, la progression de cette rencontre en miroir.
Au centre de la scène, derrière Julie étendue au sol, son vélo git. D’emblée, Julie s’affirme en face à face aux demandes empressées de Félix. Tout semble les opposer, elle est revenue de toute aspiration et lui parait entièrement attaché à obtenir d’elle ce qu’elle ne souhaite pas avec une obstination tenace qui renvoie à ses propres fantômes. Une aboulie liée à un état dépressif l’a conduite à vouloir devenir aussi légère que les oiseaux-feuilles qui se posent et s’envolent des deux arbres pour virevolter dans les airs au dessus du précipice. Lui la surveille et tente de percer à jour ce qui dans l’obscurité de son être peut la pousser à cette velléité de force si singulière : s’envoler et « partir ». Elle veut mettre un terme à ce qu’elle ne veut plus, par manque de désir de poursuivre. Si Félix, lui, parvient à formuler clairement et à mettre en mots ses propres maux, Julie est plus réservée dans l’expression et la justesse de ses formulations. Elle fait diversion et la colère ou les réparties cinglantes et pertinentes lui servent de bouclier. Elle semble étrangement très préoccupée par l’état de son vélo qui selon elle a été lourdement commotionné par l’accident, la chute.
Le dialogue évolue avec les personnages et le décor est au diapason tout comme l’univers musical remarquable de Yorfela qui dessine des liens visibles entre les deux êtres en apparence dissemblables. Julia Cherton a l’assurance d’une différence assumée dans un rôle qui la situe à mi-chemin entre l’enfance et la certitude de ses convictions de femme. Elle est résolument fidèle à ses ressentis. Sans les filtres encombrants de l’adulte, sa part d’enfance sauvegardée la place dans un personnage authentique, pur, souligné par une voix de jeune enfant. Julien Joerger sert l’élaboration du personnage de Julie et porte son rôle, d’abord en contrepoint, puis en complémentarité au fur et à mesure qu’il parvient à se dire, à révéler ses béances liées à la souffrance d’un deuil récusé. Les deux scènes qui les réunissent au creux de leurs bras, illustrent à quel point, les mots parfois sont inutiles, car inefficaces et insuffisants. Il faut accepter la guérison, l’attendre avec patience et la savoir possible comme le sont toutes les réparations ou presque.
La mise en scène sobre fonctionne et travaille à réconcilier la fragilité et la force. Les arbres habités témoignent de la mobilité des souffrances qui sortent de leur carcans, prennent le temps de se réparer, se reconstruisent en puissance exponentielle de vie à venir.
Au delà du message, le jeu de Julia Cherton, presque Julie et de Julien Joerger presque Julia, au final, nous entrainent sur les bords escarpés de thèmes peu simples à traiter, sur les franges parfois indistinctes de nos sensations. Ils le font avec une pudeur touchante proche de la candeur. La poésie règne dans les derniers échanges et la thérapie par le verbe est abordée dans un très beau passage qui traite des mots perçus par Julie en kinesthète confirmée.
Nul doute que d’aucuns sortiront très émus, voire bouleversés par la puissance ténue de La Force du coquelicot.
Nadine Eid
avec Lydia cherton et Julien Joerger
mise en scène Brunon Banon
assistante à la mise en scène Sandra Fabbri
créateur musical Yorfela
motion designer Marie Puydebois
création costumes Philippe d’Avilla
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