L'histoire d'une mère qui devient la mère d'une fille qui ne sera pas mère
L’histoire de la fille d’une mère qui devient la mère d’une fille qui ne sera pas mère
Théâtre des Lila’s
8 rue Londe Avignon
du 2 au 21 juillet 2024 10h50
Le titre aurait pu être plus court Mère, fille, petite fille : stop !
Elle attendait un garçon, le désirait et ne peut accueillir celle qui s’impose à un amour maternel qui ne naitra pas. La fille non désirée est victime de ce que notre tradition judéo-chrétienne nous a transmis depuis la nuit des temps. Cette femme devenue mère d’une fille est une femme malheureuse, une mère spoliée de la joie d’avoir eu un garçon. A quoi bon expliquer les raisons de ce qui n’est que l’expression mortifère de la domination masculine et de la suprématie conférée au genre masculin. Les générations se passent un biberon empoisonné, et, de mères en filles, la concaténation transgénérationnelle reduplique les schémas pipés de relations toxiques, amour idolâtre des fils-mâles porteurs du patronyme, désintérêt pour les filles, vivants reflets de leur asservissement de femmes soumises.
Emilie Alfieri s’empare avec brio des trois rôles, la mère déçue non aimante, la fille malheureuse à jamais à la recherche de l’amour maternel qu’elle n’obtiendra pas et celui de la fille de cette fille non-aimée devenue mère.
L’écriture est redoutable car, à la virgule près, elle signe les propos machistes que nombreuses d’entre nous ont pu entendre. Réflexions assassines, propos dégradants associés au genre féminin, refus d’amour maternel. Sa fille tente donc de faire l’inverse de ce qu’elle a subi mais faire l’inverse, c’est encore « fonctionner comme », a contrario, subir et ne pas être dans la liberté possible d’expanser ses sentiers de vie en choix réels. Elle part, guerrière courageuse, à l’assaut de l’amour absent qu’elle va vouloir construire et offrir à sa fille, du moins le croit-elle. C’est sans compter les atavismes de toutes les générations femmes sacrifiées sur l’autel de l’asservissement à l’homme. Enfant malmenée et maltraitée psychologiquement par sa mère, elle laissera, malgré elle, poindre la rigidité, l’intransigeance, l’anormalité des injonctions abusives à l’endroit de sa propre fille quitte à s’en excuser auprès d’elle en l’analysant comme telles.
Emilie Alfieri est extraordinaire dans son jeu. Sur le fil du rasoir des nuances, la palette des émotions qu’elle suscite nous fait partager l’intimité de la souffrance de la mère, de sa fille puis de la fille mère à son tour. Les automatismes comportementaux que cette dernière réprime, la laisse anéantie d’une souffrance redondante. Le rôle de mère, pour elle est fatalement tragique. Sa souffrance est poignante, l’émotion est palpable dans le public. L’autocritique des abus qu’elle perpétue malgré elle, confère à son rôle une puissance qui atteste de l’analyse fine et riche du poids de la transgénéalogie.
La petite fille qui ne sera pas mère questionne très intelligemment in fine cette pièce subtile et dense. Le choix est-il pleinement assumé ou provient-il de la crainte de redupliquer ? N’est elle pas elle aussi victime en voulant rompre la chaîne de la transmission tout en se refusant la possibilité de donner la vie?
Le dilemme condamne le choix.
Une pépite, un coup de coeur !
Nadine Eid
de et par Emilie Alfieri
mise en scène Sébastien Mortamet
création lumières Francis Faure
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