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  • Photo du rédacteurNadine Eid

Femme non-rééducable

Théâtre du Balcon

38 Rue Guillaume Puy Avignon

le 31 mai 2024 sortie de résidence

puis du 29 juin au 21 juillet 2024à 18h25 Festival Off










Anna Politkovskaïa a été l’unique journaliste russe à couvrir la seconde guerre de Tchétchénie. Dans la classification du régime de Vladimir Poutine, les ennemis de l’Etat sont sériés en deux catégories : les curables, aptes à être raisonnés par le Pouvoir et les non-rééducables. Pour les premiers, on peut aisément penser que l’obédience à la dictature oligarchique fonctionne à plein, pour les seconds, le passage à la trappe ou pire, la condamnation à mort sont les solutions au danger qu’ils représentent.

Anna Politkovskaïa, surnommée la Folle de Moscou a seulement exercé sa profession, elle s'est limitée à relater les évènements, les faits de guerre, les exactionsdes forces fédérales russes ainsi que celles de la milice de Ramzan Kadyrov. A Moscou, le 7 octobre 2006, le jour de l’anniversaire de Vladimir Poutine, Anna Politkovskaïa est assassinée. Son corps est découvert dans la cage d’escaliers de son immeuble. Elle a payé de sa vie, sa détermination à oeuvrer pour l’information parce que c’est la charte implicite à laquelle adhère sa profession.

L’écriture de Stefano Massini,travaillée au cordeau de la concision de la relation, est en parfaite osmose avec le style journalistique et colle parfaitement à la simple oralisation des évènements que la journaliste dictait parfois d'une cabine téléphonique, après les avoir consignés sur des bouts de papier glanés dans le décor absurde et tragique des lieux de combat.


C’est du cousu main que Caroline Rochefort endosse, sans coup férir, avec talent. Elle marque ainsi la détermination de son personnage, la rectitude de son professionnalisme malgré l’épuisement qu’elle qualifiera de fatigue, propre aux conditions d’exercer, souvent extrêmes, des reporters de guerre.

Cette relation soutenue par un rythme tendu, aussi rude que les faits évoqués, plonge le public dans l’univers dystopique de la guerre tchétchène.

Les souvenirs affluent et les rappels historiques nous confrontent à l’actualité qui aujourd’hui peut, à raison ou pas nous inquiéter vivement. Nous apprenons ainsi avec effroi que des pans entiers d’informations sur des événements historiques marquants sont ignorés, comme égarés dans les limbes d’un passé volontairement édulcoré ou peut être relégués en arrière- plan d’une actualité autre considérée comme prioritaire.


Pierre Berçot, parvient, avec une remarquable justesse de ton, à découper dans l’épure le rôle de la répression, de la menace, de la violence frontale qui  dénie le droit à l’information, base de toute démocratie. Son maintien, en dehors même de sa gestuelle, impose- sans nulle concession et sans réplique possible mais surtout sans souffrir aucune contestation-le rôle de la censure, du limogeage, du diktat, en un mot celui du pouvoir répressif.

Sa maîtrise du systema, à couper le souffle, s’oppose magistralement à la sobriété de l’énonciation journalistique. Que rétorquer à la vérité d’un fait ?

Le mutisme appuyé par la chorégraphie des mouvements tente de dévoyer les mots, de les rendre caduques. Cependant, l'utilisation de ces techniques de combats redoutables, atteste de la reconnaissance de la puissance de l'adversaire. En utilisant les mots, Anna Politkovskaïa a, malgré les moyens et les droits usurpés de son adversaire, la suprématie, celle de révéler l'information existante, seule à respecter, sans allégeance à la propagande d'Etat.

La création lumière est au service de la révélation. La cible au sol est visée et la poussière des décombres en son coeur, délimite et resserre sans descriptions romanesques, la trame rudimentaire d’une narration épurée.

Le son d’une précision et netteté à souligner, nous incline à prêter une oreille très attentive à ce qui est dit. La musique et les sons ciselés en incroyables onomatopées d’armes à feu, resteront en mémoire, associés au superbe travail de mise en scène de Tradina Hocking. Elle magnifie non seulement le texte mais aussi le jeu des deux comédiens qui servent avec brio deux rôles percutants.


Au sortir de la représentation, nous demeurons impactés par les mots, entourés par les sons vibrants de la luminosité de la liberté d’expression superbement mise en scène.

Pièce coup de coeur mais coup au coeur !

Dans le silence du public, en ses pensées, s’égrènent la longue liste des journalistes assassinés ou tombés au combat avec l’arme invincible de leur plume.

     


Nadine Eid

   


de Stefano Massini, traduction Pietro Pizzuti

avec Pierre Berçot et Caroline Rochefort

mise en scène de Tadrina Hocking

création lumière François Leneveu

création et conception décor Stéphane Duclot

son et musique Goyave

costumes Julia Allègre


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Nous sommes Fanny Inesta et Jean-Michel Gautier, chroniqueurs indépendants et surtout passionnés de théâtre, d’expositions, et de culture en général. A ce jour, nous créons notre propre site, avec nos coups de coeur et parfois nos coups de griffes… que nous partageons avec vous.

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