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Photo du rédacteurNadine Eid

Emilia Perez

Ecrit et réalisé par Jacques Audiard

France/ Mexique/ USA 2024 2h12

Prix du Jury Festival de Cannes 2024





Peut-être faut-il débuter par l’originalité osée du scénario amplement supplantée par la mosaïque foisonnante du traitement. Ensuite, il s’agira de tenter et ce ne sera pas aisé de fuir les écueils des qualificatifs dithyrambiques pour trouver les termes adaptés aux ressentis, aux émotions suscitées par ce film de Jacques Audiard à nul autre semblable.


Manitas del Monte, le capo du plus important cartel de drogue mexicain, contacte Rita Moro Castro, une brillante avocate sous- employée et exploitée par un cabinet d’avocats baveux. La proposition de Manitas est alléchante, d’abord parce qu’elle reconnait implicitement les compétences et le perfectionnisme de l’avocate et que ce faisant, elle lui offre de devenir, en juste rétribution de ses capacités, immensément riche. Elle est soigneusement choisie pour parvenir à préparer l’organisation minutieuse de toute la trans-récupération de la femme qu’est Manitas del Monte. Cette tâche est multiple, il va s’agir de choisir, parmi les meilleurs, le chirurgien apte à accepter de réaliser les multiples interventions chirurgicales pour restituer au caïd son identité et faire émerger à la vue de tous, Emilia Pérez en place de Manitas del Monte. En corollaire, il lui faut organiser la disparition du narcotrafiquant, la protection de son épouse et de ses deux enfants en Suisse. Seuls seront dans le secret, lui, elle et le chirurgien. Elle s’acquitte remarquablement de cette mission et réorganise librement sa vie d’avocate.

Nous la retrouvons à Londres où, lors d’une soirée, Emilia Perez, entre en contact avec elle pour lui demander de bien vouloir l’aider à retourner au Mexique afin d’y préparer le retour de sa famille. Elle sera une riche cousine du défunt Del Monte souhaitant accueillir et prodiguer ses largesses à l’épouse et aux enfants de feu son cousin. Rita Moro s’acquitte encore une fois avec brio du projet d’Emilia. Ensuite, la rédemption, joue à plein, Emilia rachète la vie d’atrocité de Manitas Del Monte en oeuvrant auprès des familles endeuillées victimes du cartel. Le retour à la violence pour conserver la présence de ses enfants scellera le film par une fin tragique mais salvatrice, porteuse d’un espoir  à accomplir.    


D’emblée, la dimension mélodramatique est assumée. C’est flamboyant, exalté et puissamment ancré dans l’imaginaire de l’excès, de l’outrance, du trop. Le tragique est donc partout, dans le regard blessé de la brillante avocate exploitée consciente du lien entre la couleur de sa peau et l’exploitation de ses talents gaspillés, dans celui de Manitas qui, face au chirurgien, doit justifier de l’absolue nécessité de respecter son identité féminine. Il ne s’agit pas de caricaturer mais de signifier très simplement les lieux et choix de vie des personnages. Le cabinet véreux de l’employeur de Rita, la mascarade  d’une défense pantomime inutile, le camion sordide en marche pour nulle part lors de l’entretien de Del Monte avec Rita mis en parallèle avec celui du chirurgien renvoient à l’incongruité de leur destin initial. Rita comme Manitas ne sont pas dans leur vraies vies. La réalité de leur identité en eux errante a été muselée par des lieux d’origines responsables de devenirs en inadéquation avec leur êtres enfouis. Le poids du fatum a condamné une partie de leur vie, la rédemption par Manitas grâce à Rita octroie le rachat  et le pardon. Tout est très moral, juste, calibré pour que la fresque soit lisible dans le sens de la rédemption jusqu'à l’erreur à ne pas commettre : le recours à la violence pour acheter et intimider l’amant de Jessi. C’est là, l’élément déclencheur qui va précipiter la fin du film vers une épuration : celui qui a péché paie pour ses fautes et la récidive n’est pas tolérable.

Emilia va au delà de tout principe, conquérir son identité et, ce faisant, réécrire dans la vérité son vécu. Son carnet enflammé efface un passé dont seul l’amour pour ses enfants sera excepté car ce lien là ne peut être détruit. L’explosion du véhicule qui envahit  et enflamme la totalité de l’écran, met un terme radical à un présent qui ne peut se justifier  et se concevoir par un retour aux principes de caïd et le recours à la violence honnie.


Le choix délibéré et parfaitement assumé du kitch, la prégnance de la musique et le rôle de choix qui lui est attribué, le reggaeton comme les mélodies et les paroles des chansons déplacent le film vers un univers dans lequel sans réticence aucune on se laisse, dès le début, happé avec un grand sourire et un plaisir à chaque moment musical et dansé, sans cesse renouvelé, repris. Mieux le crescendo devient jouissif lorsque les images s’enchainent de plus en plus rapidement. C’est vif, alerte comme les gros plans sur les pas qui de compas se font aiguilles du temps pressant et scandent l’urgence de parvenir à accomplir les vrais destins avant qu’il ne soit trop tard.

A l’instar des enfants qui savent pertinemment lorsqu’ils jouent, « qu’ils font semblant », nous adhérons à cette fresque jusque dans sa vision manichéenne du mal et du bien, dans le traitement outrageusement moral du scénario, dans les paroles des chansons qui pourraient sembler édulcorées mais qui toutes réfèrent au respect de notre sensibilité, à l’infime partie qui, en nous, situant le lieu de nos errances fallacieuses, identifient celui de notre accomplissement, de notre singularité identitaire .

Entre les deux lieux, entre l’erreur et le vrai, s’inscrivent les scènes extraordinaires de danses chantées et de chansons plus jouées qu’interprétées. Le rêve comme les souhaits, l’expression de la réalité non vécue et non formulée s’expriment. L’acmé est à couper le souffle dans la scène du gala caritatif. Les non-dits sont révélés comme l’ont été durant tout le film les espoirs et les pulsions.  L’écriture colle à l’urgence et à la nécessité de parler vraie et de viser juste. Pour Emilia Perez, il ne s’agit pas de désir, elle ne souhaite pas désirer ni être désirée et elle le formule ; elle veut s’unir au elle qu’elle a toujours su et senti dans un lui qui la dévoyait de sa vie. Ses paroles toujours très simples presqu’à l’excès expriment remarquablement la nécessité. La sobriété des explications, en font un plaidoyer efficace et imparable à sa cause. Le questionnaire du chirurgien est un moment clef, l’essentiel est énoncé avec une économie des plus convaincantes. Les paroles ciblent la véracité de ceux qui les prononcent.

Le rythme et le crescendo haletant de l’intrigue, nous permet d’occuper pleinement les rares pauses ou moments d’insistances, de parenthèses à savourer comme la scène foudroyante de l’enfant qui reconnait l’odeur de son père et la lui décrit avec des métaphores qui sont autant des fulgurances oniriques ou encore celle des mains d’Emilia qui rejoignent et perçoivent la gémellité de celles d’Epifanía dans le silence des yeux  médusés par la rencontre.


Emilia Perez est un film non seulement écrit mais construit. L’équilibre est sans cesse  observé dans la juste proportion des scènes d’intimité et des scènes collectives. Les alternances entre le déroulement des scènes de l’intrigue et celles des rêves axent vers une lecture analytique et symbolique. L’ambiance et les thèmes évoqués le place dans la lignée des films inspirés de l’univers de Pedro Almodovar. Les personnages sont des archétypes et avec la musique, ils remplacent les décors étonnamment discrets. Le sublimes paysages en plongée de Mexico, les ciels étoilés en écho des visages qui chantent Aqui estoy et ponctuent le titre par Aqui estamos, les espaces d’habitation en plans nocturnes, la villa de Manitas énigmatique d’une vie de couple absente et l’appartement de Rita filmé de l’extérieur et la montrant en train de quitter les lieux renvoient à des films peuplant notre inconscient. Les femmes y sont éblouissantes de talent. Karla Sofia Gascon interprète magistralement les rôles de Manitas del Monte et d’Emilia, la chanteuse Selena Gomez , celui de Jessi l’épouse de Manitas, Zoe Saldaña celui de Rita Moro Castro et Adriana Paz, celui d’Epifanía. Toutes les quatre ont amplement mérité le prix d’interprétation féminine du Festival de Cannes 2024. Quant au film, nulle surprise, il a été choisi pour représenter la France aux Oscars 2025 ; augurons qu’il sera retenu par l’Académie américaine dans l’ultime liste aux nominations.


Pour, la qualité de l’écriture, celle du tournage et pour l’intelligence des dialogues, Emilia Perez est un monument. La subtilité des thèmes déclinés déplacent les thèmes centraux hors de leur cadre. « Attention dans les escaliers, il n’y a pas de rampe », dit Emilia aux enfants. Pour nous, dès les  premières minutes c’était déjà une évidence. Les lieux sont à investir et à conquérir pour rejoindre et accéder à la vérité. L’espace nu de la plage sur le sable de laquelle le couple del Monte et leurs enfants s’allongent, est une absence qui signifie l’effacement de la vie de couple. Le brouillard évanescent de la Suisse scelle une chape de plomb sur le secret de l’époux de Jessi. La cuisine d’Epifanía où Emilia entrebâille les placards pour préparer un café réunit avec force sur une banale chaise, le couple uni par la rencontre. Les lieux n’existent pas, les comédiens les investissent totalement.

En contrepoint, l’époustouflante chorégraphie de Damien Jalet en harmonie avec l’intrigue, éclaire de façon magistrale sa progression et insuffle un dynamisme musclé à l’écriture déjà très nerveuse.


Emilia Perez est une étourdissante manne à revoir pour se délecter et pour le plaisir de découvrir une partie des nombreux prolongements de lecture.



Nadine Eid



Avec Karla Sofia Gascón, Zoe Saldaña, Selena Gomez, Adriana Paz

Edgar Ramirez…..

Prix collectif d’interprétation féminine pour les quatre comédiennes

Adaptation du roman Ecoute de Boris Razon

Musique et Chansons Camille et Clément Ducol

Chorégraphie Damien Jalet


Coup de coeur N° 2 pour 2024

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Nous sommes Fanny Inesta et Jean-Michel Gautier, chroniqueurs indépendants et surtout passionnés de théâtre, d’expositions, et de culture en général. A ce jour, nous créons notre propre site, avec nos coups de coeur et parfois nos coups de griffes… que nous partageons avec vous.

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