Elles
Dernière mise à jour : 11 juil.
Théâtre de l’étincelle
14 rue des Etudes Avignon
du 3 au 21 juillet 2024 Relâches le 6 /7/ 8 juillet
17h10
Deux femmes sont allongées sur deux lits dans un espace qui pourrait s’apparenter à une chambre double. De part et d’autre, deux portants emplis de vêtements sur cintres. A n’en pas douter il s’agit de blouses ou de vestes blanches. Ça et Là quelques éléments de mobilier, desserte, armoire en inox ; un voile transparent sépare la troisième femme. C’est une réfugiée afghane qui tente de renouer avec la vie après son départ contraint de Kaboul prise en otage par les Talibans. Visiblement, elle effectue en ce lieu quelques heures de ménage. Elle est peu loquace et répond assez peu aux questions, comme si la langue était l’obstacle essentiel. Or, d’emblée, ce qui fait question c’est le voile tendu devant les lits brancards qui l’isole des deux autres. S’il s’agissait d’un foyer, il y aurait une proximité physique avec la troisième femme.
Etrangement la réfugiée afghane, est plus atone que les deux femmes couchées sous les draps blancs. Toutes les deux bavardent, elles se parlent et partant, narrent le récit de leur jeune vie. Elles semblent issues de milieux différents. Mathilde après des études correspondant au choix du père et après avoir été larguée par son compagnon qui a fait preuve d‘originalité en la quittant pour une jeune femme a doublement détruit sa liberté en s’aliénant à un emploi en conformité avec les voeux d’un père abusif et psychologiquement violent. Au vu de son profil, après une brève initiation incestueuse avec son patron qui lui aussi la quitte pour une jeune femme, elle replace sa vie dans la reduplication des schémas répétitifs à l’infini, symptomatiques de refoulements émergents. Ainsi elle tombe dans les filets de la perversion de la nouvelle conquête de son patron-ex amant. Son quotidien devenu infernal, seule l’issue fatale l’en délivrera.
Doudou la Rousse, sa voisine plus libre apparemment, ne semble pas comme Mathilde assujettie à l’autorité d’un père tyrannique. Pour elle c’est pire, son aura, sa joie, son dynamisme et sa sensibilité d’artiste - elle est musicienne et joue de l’accordéon dans un groupe - l’ont rendue fragile et son compagnon allie visiblement son inculture et sa balourdise à la violence et la perversion. Comme Mathilde, elle tombe dans les rets de la perversion
Lorsque Mathilde aperçoit les bleus qui maculent sa peau, le public commence à comprendre ou comprend ce que sous-tend le décor et l’émergence de la mise en scène s’impose. Nous sommes à la morgue ces deux féminicides ne peuvent pas même compter pour deux puisque Mathilde, acculée à plus fort qu’elle, a préféré en finir avec la souffrance. Les suicides salvateurs des violences insupportables au travail ou en couple ne sont pas comptabilisés comme des féminicides même s’il est patent et manifeste qu’ils relèvent de violences physiques et /ou morales.
La justesse de l’interprétation d’Ariane von Berendt et de Marine Biton Chrysostome, campe des personnages aisément identifiables parmi nous qui avons été élevées dans une tradition tragiquement et pitoyablement patriarcale.
Guillemette Beaury a l’absence rivée au creux de son personnage d’exilée volontaire. Son jeu est celui de qui essaie de se faire discret, oublié. Le texte parle vrai, le père évoqué de Mathilde n’est pas sans rappeler pour certaines d’entres nous les remugles des propos ineptes servis aux petites filles que nous avons été puis aux femmes que nous sommes devenues.
Avec la force bien maitrisée de la mise en scène ciselée de Jean- Bernard Philippot, Elles nous emmène dans un temps suspendu, celui des âmes qui ont encore à se parler pour dire la vérité des corps morts, celles des vies gâchées et des silences qui servent les bourreaux.
Nadine Eid
mise en scène Jean-Bernard Philippot
décorateur Benjamin Isabel
costumes Nathalie Bègue
Texte de Jean-Bernard Philippot édition L’Harmattan Collection En Scène
La Compagnie nomades
Contact diffusion Claire Ramiro
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