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Photo du rédacteurNadine Eid

Chocolat Piment

Le Cabestan 11 rue du Collège de la croix Avignon

Sortie de résidence 26 mai 2024 19H30

et au Festival OFF Avignon du 3 au 21 juillet à 12h35

Photos: Nadine Eid


          Des goûts et des couleurs on ne discute pas : non parce que tous les goûts sont dans la nature, mais parce que chaque goût se sent fondé en nature – et il l’est quasiment, étant habitus -, ce qui revient à rejeter les autres dans le scandale du contre-nature.

     Pierre Bourdieu

    

Le chocolat et sa douce amertume relevée par une pointe de piment réunit les contraires. La famille elle, est souvent pour ne pas dire toujours oxymoronique dans sa composition et peine à unir ses membres dans leur disparité. L’amour ou la haine, définissent les liens, et, selon leur intensité, elle verse dans la comédie, le drame ou la tragédie. La plume de Christine Reverho, livre une comédie de moeurs truculente qui n’est pas sans rappeler celle, mémorable mais plus acide et superbement incisive d’Agnès Jaoui et jean-Pierre Bacri, adaptée au cinéma par Cédric Klapisch « Un air de Famille ».


Tout commence par le choix de Caroline, la fille cadette de Paul. Avec Stéphanie sa soeur célibataire, elle vont se retrouver chez leur père, veuf depuis de longues années.

S’il étreint avec affection ses deux filles, Paul apparaît néanmoins d’emblée comme un solitaire bourru, au regard acéré et sans illusion sur l’humain et ses comportements.

L’époux de Caroline, dès son arrivée sur scène, en fait les frais. Il faut dire que le personnage est le parfait faire-valoir des trois autres. Il cumule les défauts. Difficile de le définir sommairement autrement que d’utiliser un substantif générique, il est le prototype du con avec tous ses attributs !

Sa balourdise, sa fatuité, ses inconvenances et impolitesses  assorties d’une absence totale du moindre sens critique, en font un personnage difficilement supportable et du reste péniblement supporté par les autres personnages d’autant plus qu’il ne cesse de vociférer. Anthony Allard prend le rôle à bras le corps et nous condamne au sourire ou aux rires à chacune de ses intrusions dans cette véranda. Tout au long de cette réunion de famille il apparaitra comme le trublion, celui qui exacerbe l’aspect fastidieux des traditions éculées.

La mise en scène sur mesure et les décors cousus mains de David Teysseyre servent très habilement et avec simplicité les différents moments. Les échanges intimes entre le père et les filles s’articulent sur le canapé, le conventionnel et rapide repas d’anniversaire sera suggéré par une table de cuisine sur laquelle des verres de champagne sont posés. Elle ne réunit pas la famille. Personne ne s’y assoit pour partager le gigot. Les échanges sont verbaux et se distribuent debout dans des va-et-vient incessants autour de ce gâteau singulier qui n’a pas été l’objet d’un choix car, comme l’a annoncé Caroline à sa soeur étonnée du parfum chocolat/piment, c’était le dernier gâteau, celui que les clients, manifestement, n’avaient pas choisi.


Pas même affirmation d’un non-choix mais pis-aller, ce gâteau pose en lui-même le sujet de la pièce. Avons-nous le choix ? Entendons par là choisissons-nous notre vie ou laissons-nous les autres et les circonstances choisir à notre place ? Autrement formulé, quelles sont nos peurs, nos faiblesses qui motivent notre inertie ?

Paul catalyse ces interrogations. Son histoire d’amour sacrifiée sur l’autel des responsabilités familiales par sa maîtresse illustre cette ambivalence du choix et du non-choix. Elle a choisi de s’effacer par amour et respect de son statut d’homme marié père de famille. De même Caroline affublée de son époux insupportable le laissera partir seul  mais est-ce vraiment un choix ou ne subit-elle pas celui qu’il lui impose en partant à l’étranger sans qu’elle ait son mot à dire ? Ne pas approuver équivaut-il à refuser, dire non est-ce faire un choix ou s’opposer ?

Stéphanie pointe le dilemme en faisant remarquer que son père ne veut pas de gâteau et encore moins de bougies pour son anniversaire. Mais Caroline toute empêtrée dans son conformisme et son obédience d’épouse et de mère au foyer, peine à vouloir comprendre qu’aimer c’est surtout entendre et comprendre l’autre, accepter ses désirs et ses choix.

La véranda cuisine est au service de la mise en lumière des porte-à-faux des uns et des autres, Paul et son amour abandonné, Caroline et sa caricature égocentrique d’époux ridicule et insupportable, Stéphanie et ses amants dérisoires.


Jean-David Stepler interprète avec un réel talent, tout en finesse, les multiples facettes d’un rôle plus riche qu’il ne semble. Le tendre bourru, très attentif aux autres, presque le seul à l’être, se révèle un faire-valoir de la réalité camouflée de ses proches. Percés à jour dans la véranda, véritable laboratoire révélateur des faiblesses et des failles de chacun, les personnages sont pris dans les rets des aveux, des non dits, des faux-fuyants de cette soirée familiale. Aurélie Treilhou survitaminée métamorphose un rôle difficile car très caricaturé. Elle s’en sort cependant magistralement en collant, au début au rôle de son époux tout autant stigmatisé mais peu à peu en prenant de façon lacunaire, conscience du dérisoire de sa vie d’épouse.

Lydia Cherton, à l’instar de Jean-David Stepler, semble en adéquation avec ce qu’elle dit et ce qu’elle fait. Son jeu est élégant, suggestif et tout en retenue. Les gestes évoquent les intentions non formulées et les renoncements à parler lorsque c’est inutile, sont bien maitrisés. L’humour et la clairvoyance lui permet de pratiquer une autocritique. Elle saura reconnaître et confier à sa soeur, que sa liberté a le goût de la solitude sans pour autant en avoir la saveur. Le prix du célibat peut donc lui sembler onéreux.

Le coup de théâtre réserve la part belle à Paul et la main tendue à l’ultime personnage inattendu clôt cette soirée familiale en un beau final d’espoir.

Immanquablement, d’aucuns dans le public, se sont surpris à se souvenir de leurs propres réunions de famille.

Le Cabestan a résonné sous les rires et les applaudissements d’une salle comble et ravie.


Nadine Eid


Chocolat Piment

4 nominations aux Molières

Diffusion Rayana Horowitz

Mise en scène David Teysseyre, lumières Stéphane Balny



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Nous sommes Fanny Inesta et Jean-Michel Gautier, chroniqueurs indépendants et surtout passionnés de théâtre, d’expositions, et de culture en général. A ce jour, nous créons notre propre site, avec nos coups de coeur et parfois nos coups de griffes… que nous partageons avec vous.

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