Cet amour qui manque à tout amour
Dernière mise à jour : il y a 2 jours
Théâtre de l'Optimist
50 rue Guillaume Puy Avignon
Vendredi 7 et Samedi 8mars 2025 à 19h
Dimanche 9 mars à 15h30
Il est des spectacles qui ne se contentent pas de raconter une histoire, mais qui ouvrent une brèche dans l’âme du public, l’invitant à y déposer ses propres frissons, ses vertiges, et parfois même une révélation. C’est précisément ce qui s’est produit ce vendredi soir au théâtre de l’Optimist, où Cet amour qui manque à tout amour a tissé, avec délicatesse , les thèmes intemporels de l’amour et de l’absence. Les mots de Christian Bobin y résonnaient comme une prière.
Dans l’écrin feutré du théâtre, la mise en scène épurée , une table, une bougie, quelques livres , créait un espace propice à une écoute, où chaque mot prenait toute sa place.
Élina Maurel incarne une comédienne portée par une admiration profonde pour Christian Bobin. Progressivement, elle entraîne sa partenaire jouée par Nathalia Brignoli, dans cet univers littéraire. D’abord en retrait, cette dernière se laisse peu à peu toucher par la poésie du texte, jusqu’à en être totalement imprégnée. Ce dialogue complice et contrasté devient alors une exploration du mystère Bobin, de sa lumière douce et de ses silences habités. S’attaquer à une figure aussi insaisissable que l’écrivain est un défi périlleux, ici relevé.
Les textes de Bobin, empreints de mélancolie et de grâce, trouvent dans l’interprétation des deux comédiennes un bel écho . Leur jeu oscille entre tendresse et gravité, évoque tour à tour l’enfance, l’amour et l’absence. Grâce à une interprétation nuancée et sincère, elles donnent aux mots une texture vivante, révèlent la dualité entre la douleur et la lumière qui traverse l’œuvre de l’auteur.
Le spectacle, rythmé avec soin, enchaîne les extraits choisis par Nathalia Brignoli avec une fluidité maîtrisée. Leur jeu juste et délicat offre un spectacle sensible, jamais appuyé. Porté par l’élan d’Élina Maurel et la présence subtile de Nathalia Brignoli, Cet amour qui manque à tout amour invite à redécouvrir Bobin sous un prisme intime et incarné. Une proposition féminine, sobre et précieuse, qui touche par sa simplicité et son authenticité.
Deux textes en particulier émergent avec intensité : Le Christ aux coquelicots et Pierre. Le premier médite sur la figure du Christ à travers l’image fragile et éclatante du coquelicot ; le second explore la peinture de Pierre Soulages et sa relation à la lumière.
Dans Le Christ aux coquelicots, les mots prennent une dimension presque incantatoire. Élina Maurel insuffle à ce texte une ferveur lumineuse, où la fragilité du coquelicot devient le symbole d’un Christ à hauteur d’homme, sans grandiloquence, tourné vers l’invisible et la douceur. Son interprétation, ciselée donne corps à cette vision .
Avec Pierre, Bobin livre une lettre d’amour à l’œuvre de Soulages. Ici, le ton se fait plus grave, plus méditatif. Le texte explore l’alchimie du peintre, où l’outrenoir capte la lumière pour mieux la révéler. Nathalia Brignoli accompagne cette réflexion par un jeu subtil, variant rythmes et inflexions, traduisant cette tension entre obscurité et éclat. Son interprétation, habitée, émouvante et sincère, fait résonner la profondeur du regard que Bobin porte sur l’œuvre du peintre :
"Ses peintures ont la luisance humide d’une peau retournée. Elles ne montrent rien. Elles disent. Ces tries noires sont des microsillons. La voix du peintre est prise dedans…"
Le spectacle jongle entre ces deux textes majeurs et d’autres fragments plus courts, trouvant un équilibre entre contemplation, émotion et respiration.
Entre délicatesse et intensité, Cet amour qui manque à tout amour est un hommage vibrant à Christian Bobin, un moment suspendu où les mots se font chair et lumière. Une ode à l’amour sous toutes ses formes, à cet amour qui manque à tout amour, et qui pourtant emplit l’espace de son souffle.
Fanny Inesta
De Christian Bobin
Adaptation: Nathalia Brignoli
Interprètes: Nathalia Brignoli et Elina Maurel
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