A Feu et à Sand
- Nadine Eid
- il y a 2 jours
- 3 min de lecture
À feu et à Sand
Théâtre de l’Optimist
50 rue Guillaume Puy 84000 Avignon
samedi 5 avril 2025 à 19h et dimanche 6 avril à 15h30
photos: N. Eid
Mon amour, mon beau, mon roi
Mon enfant que j′aime
Mon amour, mon beau, ma loi
Mon autre moi-même (…)
Mon amour, mon enfant roi
Je pars et je t’aime (..)
Ceci est ma vérité
Du cœur de moi-même
Barbara
George Sand et Alfred de Musset vécurent une longue passion qui survécut à une liaison courte de moins de deux années. L’inverse est souvent à déplorer et nombreuses sont les passions qui s’éteignent bien vite et font place à une plus longue liaison…
Entre eux deux, corps et esprits se cherchent, se trouvent, s’attirent et se repoussent pour se mieux reprendre à nouveau dans l’exaltation du sentiment amoureux qui ne peut qu’exulter ou périr.
La sobriété de la mise en scène de Pierre Jouvencel exprime l’essentiel. Leurs échanges épistolaires, s’épinglent sur une corde à linge et sont autant de fragments qui lient les deux amants dans l’expression d’un amour follement impossible mais qu’ils s’autorisent.
Les amours incestueuses ou aux remugles d’incestes sont celles qui, depuis l’origine des mythes, en s’approchant des limites et des frontières ont toujours suscité l’écriture et suggéré les fantasmes.
Pour elle, il s’agit de confondre en un même personnage, l’amante, la mère, la soeur et l’amie. Aimer son amant comme on aime un enfant. Faire fi des interdits pour mieux respecter ses désirs et sa liberté n’est que la consécration du respect qu’elle place dans les sentiments.
Pour cette figure de proue de la femme libre de ses choix, féministe avant gardiste, aimer est une célébration. Corps et âme communient en une liturgie charnelle. Musset est sous le charme, il suit cette célébration et tous deux s’envolent sur la musique des Pink Floyd. Sylvia Delagrange propose une femme redoutablement sensuelle, Benoît Saladino un Musset sexy en diable.
Aimer c’est aussi et surtout s’aimer.
Les moments de danses, de frôlements, d’effleurements des corps sont superbes et évoquent avec puissance l’attraction des peaux aimantées par le désir toujours prêts à renaitre. Les deux comédiens jouent avec leur corps qui instrumentent les sentiments, les subliment pour mieux ensuite les rejeter. Il n’est pas simple d’être à l’écoute sincère des mouvements de l’âme et des fluctuations des ressentis surtout lorsqu’il s’agit d’amour notamment entre deux êtres qui écrivent et formulent par lettres la véracité de leurs pensées : abandonner le lien pour ne pas accepter la difficulté à le vivre et reconquérir une liberté aliénée. La haine jouxte alors l’amour fou. Les magnifiques mouvements de danses de prises et de déprises, donnent à voir ce qui est tu mais palpable, l’envie de détruire. l’Eros est toujours lié à Thanatos, le Mal au Bien, le plaisir à la douleur. Leurs corps en danse deviennent alors cris muets saisissants, torches vives qui subliment l’incandescence de la passion amoureuse. Elle incendie tout et ravage le sentiment. Entre eux cependant, les braises ont souvent rallumé la flamme et se prendre et se déprendre a peut être été un des versants de leur jeu amoureux, un fonctionnement qui attise et met le désir en émoi. Les visages des comédiens se transforment ensemble, souffrent de concert et disent mieux qu’en mots la labilité des ressentis émotionnels liés au joug de la passion dévorante. Le visage de Sylvia Delagrange passe de l’épanouissement de l’extase de l’amante comblée au masque de la souffrance qui torture et stigmatise en un rictus un personnage méconnaissable. Benoît Saladino emporte son corps comme un fardeau, sa chimère, là où il tente d’emmener son âme d’amant, d’enfant déchu. Il est passionnant dans la compréhension d’un rôle complexe à souhait . Comment en effet trouver sa place, ses marques auprès d’une telle maîtresse ? Elle réunit et exclut toutes les précédentes femmes connues et toutes effacent toutes celles qui suivront.
La parité entre la place donnée au texte classique et celle octroyée à la danse et aux mouvements des corps envole le texte. La musique des PinkFloyd décale et autorise plus que la joie, l’humour. La danse évite l’écueil d’une tragédie car, in fine, les amants n’en mourront pas et poursuivront l’un comme l’autre leur chemin d’amour.
Nadine Eid
A feu et à Sand, encore une très belle programmation du Théâtre de l’Optimist !
avec Sylvia Delagrange et Benoît Saladino
mise en scène Pierre Jouvencel
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