ILEA
- Fanny Inesta
- 16 mars
- 3 min de lecture
Théâtre des Vents
63 Rue Guillaume Puy Avignon
Le 15 mars 2025 à 19h30
Le 19avril 2025 à 19h30
Le 17 Mai 2025 à 19h30
Crédit des deux premières photos: Philippe Hanula
Avant que la cité des Papes ne se transforme en fourmilière théâtrale en juillet, le Théâtre des Vents propose une programmation éclectique à savourer en toute quiétude. Une aubaine pour les Avignonnais, qui ont le luxe d’une scène vivante toute l’année, loin de l’effervescence estivale. Alors, autant en profiter avant que les projecteurs du Festival n’embrasent la ville.
Ce soir, d’une âpreté presque troublante, Iléa s’inscrit dans cette lignée dont l’intemporalité constitue à la fois la force et l’effroi. Car si l’intrigue se situe dans un ailleurs flou,les tensions qui l’animent ,soif de pouvoir, calculs cyniques et amours empêchées, résonnent avec une actualité brûlante. Stéphane Roux, en signant cette tragédie aux allures de conte, joue avec les codes des grands classiques.
Si l’intrigue de Iléa épouse la mécanique bien huilée des tragédies antiques, elle n’en demeure pas moins un miroir cruel tendu à notre époque. Le contrôle de l’eau, enjeu de cette guerre fictive, n’a jamais été aussi pertinent dans un monde où les ressources naturelles deviennent des armes de pouvoir. La manipulation des sentiments, l’usage stratégique de la trahison, la violence banalisée des décisions politiques : autant de motifs qui, sous couvert d’un récit séculaire, nous parlent d’aujourd’hui.
Le texte ciselé comme une lame se déploie sans fioritures inutiles, sans effets superflus ni de psychologie moderne venant adoucir la rudesse des enjeux.La mise en scène, sobre mais efficace, joue sur les ruptures de rythme, et capture notre attention dont il est impossible de s’extraire. On vibre et on se laisse happer. Les personnages avancent à grands coups de décisions irrévocables, guidés par une logique implacable où la parole donnée n’est qu’un outil de plus dans l’arsenal des manœuvres. Iléa figure tragique par excellence, se retrouve prise dans un étau où l’honneur se confond avec la manipulation, l’amour avec le chantage, et la survie avec le sacrifice.
Dans l’écrin du Théâtre des Vents, Stéphane Roux et Manuelle Molinas relèvent ce défi avec brio : incarner à eux seuls toute la galerie des 5 personnages, jouant sur une gestuelle et des variations subtiles de voix et d’intensité. Par des jeux de lumière précis (bravo à la régisseuse), les comédiens parviennent à métamorphoser l’espace, suggérant tour à tour la froideur des relations, l’intimité d’un huis clos amoureux ou la tension d’un champ de bataille invisible. Cette économie de moyens ne fait que renforcer la puissance du texte, ramenant l’essentiel à ce qu’il est : une parole tranchante, une fatalité inexorable, une émotion brute.
Stéphane Roux campe un Claudius à l’ombre inquiétante, silhouette torturée aux allures de Quasimodo, où la ruse le dispute à la brutalité. Regard fuyant, gestes mesurés, il épie, ment, manipule avec une précision redoutable. Son apparence même inspire la crainte, comme un fauve en cage prêt à bondir. Mais d’un frémissement d’épaule, d’un changement imperceptible de posture et de voix, il se métamorphose, troquant l’inquiétante noirceur de Claudius pour la majesté fiévreuse du roi Brunéïs. Un basculement saisissant, servi par un talent qui habite chaque inflexion de son jeu servie par un texte d’une belle densité . Manuelle Molinas, quant à elle, excelle en incarnant trois figures distinctes avec une belle aisance D’une simple inflexion de voix, de coiffure, d’attitude, elle fait naître tour à tour la vulnérabilité, la rudesse, la froide détermination.
Iléa s’impose comme une tragédie totale, une montée en tension où le souffle épique se mêle à l’urgence contemporaine. Un théâtre qui coupe, qui mord, qui frappe juste.
Ce spectacle va se rejouer en avril et en mai, allez-y, ce serait dommage de le manquer . Ce soir dans le public, des enfants étaient présents, la pièce les a conquis. Une preuve, s’il en fallait une, que cette tragédie sait captiver bien au-delà des attentes. A voir en famille.
Fanny Inesta
De Stéphane Roux
Avec Manuelle Molinas et Stéphane Roux
Mise en scène : Fanny Laland
Costumes : Christine Bazin
Quel bel article! Une écriture intelligente au service du spectacle. Bravo
Bravo, je n'aurais pas dit mieux !
Superbe texte, donne tout simplement l'envie de venir 🤗merci
J irai en avril!!!
Une critique qui donne envie de voir la pièce!