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Photo du rédacteurNadine Eid

160 000 Enfantsviolences sexuelles et déni social

Théâtre des Lila’s

8 rue Londe Avignon

du 2 au 21 juillet 2024 à 12h40




Elles sont trois à porter une parole et des mots difficilement audibles, ceux qu’on ne devrait même pas imaginer pouvoir correspondre à une réalité, tout au plus envisageable dans une  fiction évoquant des atrocités insoutenables.

Au secours !

Nacima Bekhtaoui, Cécile Morel et Isis Van Groeningen, sans faiblir ni faillir, prononcent les mots de ce qui chaque jour, est infligé sexuellement par des adultes à des enfants. 160 000 enfants par an sont sexuellement abusés en France. Le constat est effroyable, les victimes sont forcément là sous nos yeux, les pourcentages sont imparables et nous placent face à un constat irréfutable. Dans chaque famille élargie aux cousins, il y a des abusées/és, des abuseurs. Quelque soit le milieu social et culturel, des crimes sexuels sont perpétrés sur des enfants, des bébés et nul ne peut l’ignorer ni le contester. La mise en scène de Cécile Morel est des plus concertée. Alerte et très centrée sur les trois personnages, elle les caractérise par l’âge, le comportement et semble-t-il  leur milieu social, balayant ainsi l’universalité d’un discours unanime, à partager et à défendre.   


Souvent, « tout le monde le savait » et aurait pu intervenir, dénoncer, parler pour révéler et stopper les agressions. Néanmoins, les rouages psychologiques de la clairvoyance sont obscurcis et occultés parfois par l’aspect inconcevable de l’acte criminel sur les bébés et jeunes enfants, toujours par le phénomène du déni. Il va s’agir ici de le malmener, de faire en sorte de le dévoyer, de l’acculer à l’émergence. Déjà il nous faut dépoussiérer la pudibonderie qui consiste à utiliser, en les édulcorant, des termes à haute connotation sexuelle. Car c’est là en effet que résulte une des difficultés majeures pour parler des violences sexuelles sur enfants. L’adjectif fait impropriété, il n’est pas question ici de sexualité, cela concerne des crimes concernant des pratiques d’abus des parties génitales ou des zones afférentes à l’excitation sexuelle des adultes agresseurs. Les trois comédiennes nomment ces pratiques tant entendues par le juge Edouard Durand.

L’énumération détaillée des sévices et tortures infligées aux enfants, parfois les leurs, travaillent à déconstruire les mécanismes du déni qui jouent à plein dans nos sociétés patriarcales. Dire et nommer précisément c’est refuser de dire que ça ne peut exister, c’est affirmer et réaffirmer l’existence des crimes faits à l’enfance. C’est aussi prendre le risque de bousculer l’idéologie masculine des dominants pourvus d’un pénis fréquemment criminel. 160 000 enfants ! Très peu, sont abusés par des femmes, et si c’est le cas, elles le font en complicité avec le mâle dominant, le pénis violeur.


Après avoir parcouru, en les nommant les pratiques de viol, nos comédiennes abordent le traitement du problème en s’attachant à la manière dont la parole des victimes va être ouïe. C’est à ce niveau là que réside l’échec des lois promulguées pour les entendre.

Comme le pénis du père, frère, cousin, oncle, grand-père, grand- oncle, voisin, enseignants, éducateurs, prêtre…..  est l’agresseur, l’enfant agressé va se confier très logiquement à sa mère. Pour elle, presque toujours, la révélation est cataclysmique.  Parfois, elle risque de demander à l’enfant d’oublier, comme si cela était possible volontairement. L’enfant perd alors confiance en l’adulte et sa souffrance le conduit au refoulement et à ses conséquences. Sa demande est contingentée par  des considérations d’ordre pratique, matériel, économique et intra familial. Si celle-ci protège son enfant, elle va spontanément l’inviter à parler aux policiers ou aux gendarmes pour que cesse l’agression et que l’agresseur soit mis en responsabilité, face à son acte. Or, lorsque l’enfant se confie, on lui demande qui l’a conseillé de parler. La maman est alors suspectée précisément, pour cette raison de manipulation et les dires de l’enfant sont discrédités.


Si les lois existent et si les chiffres parlent néanmoins de leur inefficacité c’est que précisément, il y a un dysfonctionnement dans l’application de ces lois.

L’enfant ne ment pas en inventant des abus. De très rares cas médiatisés à outrance ou sujets de films tendancieux, ont fait état d’exception et toujours, il s’agissait d’adolescents qui déjouaient le noeud gordien de graves conflits familiaux. L’enfant n’invente pas des  tortures car ce ne sont pas des actes sexuels abusifs mais  bien des tortures du point de vue de la victime et des actes sexuels spéciaux du point de vue du pervers pédophile.


Les dégâts causés  par les traumatismes sont irréversibles et les comédiennes évoquent avec courage ce qui dérange, fait tabou, renvoie à l’inceste. Il est à noter que, pour elles il ne s’agit pas d’être des personnages fictifs mais des porte-voix, des éveilleuses de conscience et elles le font avec une formidable efficacité. Leur détermination est palpable et elles parviennent à transmettre leur énergie de combattantes au public qui en sortant  se sent investi d’un devoir d’agir et de colporter les informations mémorisées.


  -  Restituons aux mots leurs sens et à la parole son dessein, celui d’exprimer le plus justement possible.

   - Donnons foi, par mesure de protection absolue, à la parole des victimes et ainsi plaçons l’agresseur devant sa responsabilité, celle d’infirmer sa culpabilité ou de l’assumer.

Il y va de notre fiabilité d’adultes responsables de protéger les enfants en danger.


Diffuser sans relâche les chiffres aussi effarant qu’incontestable, adapter à la spécificité des crimes une qualification idoine et bannir l’adjectif sexuel qui connote le crime à un

acte naturel voire vital permet de limiter la propension au déni et partant d’oeuvrer à sa résolution.

A voir absolument.


Nadine Eid





d’après le texte du juge Edouard Durand

adaptation et mise en scène Cécile Morel

avec Nacima Bekhtaoui, Cécile Morel, Isis Van Groeningen

Création pour le FestivalOff Avignon 2024

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Nous sommes Fanny Inesta et Jean-Michel Gautier, chroniqueurs indépendants et surtout passionnés de théâtre, d’expositions, et de culture en général. A ce jour, nous créons notre propre site, avec nos coups de coeur et parfois nos coups de griffes… que nous partageons avec vous.

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